Vivre de ses droits SACEM Greco, 11 octobre 202411 octobre 2024 Dans ma vie d’artiste, au moins quatre fois par an, j’ai des “sueurs froides” ! C’est- à-dire des moments nourris d’incertitudes, voire d’inquiétudes : les répartitions de la Sacem* ! Début janvier, avril, juillet et octobre, la Sacem me verse les droits d’auteur qui ont été générés par la diffusion de mes musiques liées à l’audiovisuel. Parfois c’est une bonne surprise (par exemple, la rediffusion inopinée d’un film) et j’adore la Sacem ! Parfois, c’est une catastrophe et la journée est foutue… Plusieurs causes à ces désillusions : citons l’augmentation des charges sociales, un horaire de diffusion défavorable (différents coefficients sont appliqués en fonction des horaires et des types de chaînes), des droits étrangers qui ne me sont pas parvenus, une inexactitude dans mes pronostics ou encore des omissions liées à des déclarations erronées de la part des diffuseurs, par exemple un titre d’œuvre ou le nom d’un ayant droit mal orthographiés. Bien entendu, la gestion informatique des données relatives aux contenus progressant constamment, ces risques d’erreur diminuent. Mais il faut rester vigilant et contrôler les chiffres indiqués sur les feuillets de répartition désormais dématérialisés. En cas de doute, il ne faut pas hésiter à se manifester auprès du service des vérifications de la Sacem, de préférence par email. Enfin, sachez que les impôts sur les droits d’auteur ne sont pas prélevés à la source. Pour éviter les mauvaises surprises, il faut donc procéder à une évaluation (pas toujours évidente) de ses futurs gains et la transmettre à l’administration fiscale. L’origine et la distribution des droits La Sacem collecte à partir des diffusions en radio, télévision, internet, concerts, spectacles, bals, discothèques, lieux publics sonorisés… et aussi à partir des éléments de reproduction (vinyles, CD, téléchargements, DVD, jeux vidéo…). Elle redistribue également les droits collectés auprès de nombreux territoires étrangers. Parmi les idées reçues, être membre de la Sacem signifie recevoir des sommes très confortables. Cette impression est irréaliste. En effet, le nombre d’artistes créateurs percevant des droits équivalents ou supérieurs au SMIC ne dépasse pas 2 % de la totalité des membres ! Certes, certains sociétaires reçoivent des revenus substantiels liés au succès et à l’exposition de leurs œuvres, mais cela ne concerne qu’un nombre infime de créateurs. De toutes les façons, que les montants soient modestes ou imposants, ils sont toujours le reflet de leur diffusion. En effet, la Sacem limitant au maximum le recours aux sondages, les sommes distribuées, au centime près, sont toujours la conséquence de l’activité de nos œuvres, c’est-à- dire l’utilisation et l’exposition de celles-ci auprès des médias et du public. En fonction de ces critères, les écarts de revenus sont importants et beaucoup de sociétaires ne peuvent pas vivre exclusivement de leurs droits. S’il est vrai que le métier d’artiste créateur fait souvent rêver, il faut comprendre que sa rétribution n’est ni pérenne, ni constante. Contrairement à d’autres professions artistiques, le compositeur comme l’auteur, ne bénéficie d’aucune assurance chômage : nous ne sommes pas intermittents du spectacle ! Notre situation est donc souvent précaire et fragile. Et ces versements que j’attends quatre fois par an sans pouvoir anticiper leur montant développent un lien quasi maternel dont il m’est difficile d’imaginer le sevrage… La société Sacem La Sacem est une OGC** (Organisation de Gestion Collective). Ayant su s’adapter à l’évolution de son environnement, elle est devenue leader mondial dans son secteur. C’est une société privée à but non lucratif gérée par deux entités : le Conseil d’Administration (élu par les sociétaires), qui prend les décisions essentielles à la vie de la société, et les services administratifs qui la gèrent. À ce jour, la Sacem compte 224 000 sociétaires. Son répertoire, amorcé en 1851, est considérable (près de 100 millions d’œuvres) et représente un large catalogue d’expressions artistiques (du rap à la “musique classique contemporaine” en passant par la poésie, la chanson, le doublage, le sous-titrage, les sketches, la réalisation de clips vidéo…). La répartition entre les ayants droit Pour chaque œuvre, l’auteur, le compositeur et l’éditeur (dont le rôle de ce dernier est d’assurer la commercialisation de l’œuvre) se partagent une rémunération diminuée des charges, des cotisations diverses et des frais de gestion de la Sacem. On peut comparer cette rémunération à un gâteau dont la part de chacun, au pourcentage variable, dépend du nombre d’intervenants. Plus ceux-ci sont nombreux (les groupes, par exemple), plus la part individuelle diminue. Inversement, le compositeur de la musique d’un film sans chanson et non éditée se voit attribuer toutes les parts, puisqu’il n’y a ni auteur, ni éditeur. Adhérer à la Sacem À une époque bien lointaine, l’adhésion à la Sacem était conditionnée à la réussite d’un examen (je suis passé par là) qui vérifiait que les postulants disposaient d’un minimum d’expérience en écriture musicale ou littéraire. Mais pour s’adapter aux nouveaux modes de créativité, l’examen en question a disparu et nombre d’autodidactes ont pu adhérer et percevoir leurs droits, ce qui est sûrement une bonne chose, même si certains regrettent que cette sélection professionnelle ait disparu. Mais la Sacem n’est pas une académie ! Aussi, aujourd’hui, pour y adhérer, il faut juste avoir écrit ou composé une œuvre et justifier d’un début d’exploitation. Protéger ses œuvres Depuis longtemps, la Sacem protège nos œuvres à partir du moment où elles ont été déposées auprès de ses services. Le procédé a été amélioré avec une solution en ligne quasi instantanée, Musicstart, qui accepte les partitions, textes ou fichiers audio et apporte la preuve d’antériorité de celles-ci, même inachevés. Solidarité et protection sociale Très tôt, la Sacem a développé des dispositifs de solidarité et de protection sociale, notamment le Comité du Cœur dont la vocation est de venir ponctuellement en aide aux auteurs et compositeurs qui rencontrent des difficultés ; la cotisation est volontaire et modeste (0,5% de nos droits) et elle contribue significativement à cet élan de solidarité. La Sacem peut aussi mettre en place des mesures exceptionnelles comme ce fut le cas pendant la crise sanitaire du Covid-19. Par ailleurs, elle accompagne la formation professionnelle, dispose d’une mutuelle complémentaire réservée à ses sociétaires et propose nombre d’aides et de soutiens appliqués à presque tous les répertoires. Et l’IA dans tout ça ? L’IA générative est un phénomène sans précédent dont l’utilisation est irréversible. À partir des milliards d’œuvres disponibles sur internet (dont beaucoup sont protégées, mais pillées), elle produit impulsivement des assemblages qui peuvent engendrer de nouvelles esthétiques. Mais, ce faisant, elle bouleverse les modes de création et menace le respect du droit d’auteur. Le rôle des OGC est essentiel pour défendre la notion d’œuvre, qui doit, même hybride, rester une expression de l’esprit humain. Cependant, si quiconque ne peut plus distinguer l’origine de celle- ci, à savoir humaine, hybride ou exclusivement humanoïde, comment lui apporter une certification ? Les garde-fous législatifs obligeant une transparence des entreprises se nourrissant de l’IA, associés aux processus techniques de détection, vont vraisemblablement nous aider à préciser la traçabilité des sources utilisées dans le but d’établir des systèmes de compensations financières. Les perspectives de profit liées à l’IA étant considérables et, dans le monde du commerce, la probité n’étant pas une qualité constante, la compétition s’annonce ardue. * Société des Auteurs, Compositeurs et Éditeurs de Musique ** Egalement la SACD, l’ADAMI, la SPEDIDAM, etc. L’article en .pdf Article de presse