France Musique : Interview du 4 avril 2024 Greco, 4 avril 202425 juin 2024 Jean-Christophe Urbain : Dans le quotidien économique Les Échos, vous dénoncez l’intelligence artificielle générative dans le domaine de la composition musicale alors qu’en même temps plus de 200 musiciens américains ont signé une lettre ouverte pour marquer leur opposition à l’intelligence artificielle irresponsable. Qu’est-ce qu’on appelle l’intelligence artificielle générative s’agissant de musique ? Greco Casadesus : C’est un phénomène qui n’est pas récent. Il y a eu 4 petites révolutions. La première révolution a été l’arrivée des synthétiseurs domestique. On a voulu dans un premier temps essayer d’imiter les instruments acoustiques. Ça ne marchait pas trop bien, mais surtout de nouvelles esthétiques ont apparu. La MAO (la Musique Assistée par Ordinateur) s’est imposé, le Home Studio également et de nombreux studios professionnels ont mis la clé sous la porte. C’était inquiétant, mais cette nouvelle pulsion initiait des espoirs.[…]La deuxième révolution a été d’attribuer une dimension graphique au son et de pouvoir le manipuler comme des objets. Ça, c’était un élément absolument incroyable, car auparavant on ne voyait jamais le son quand on manipulait les bandes magnétiques. La troisième révolution a été l’arrivée du MP3 qui a permis une diffusion phénoménale des fichiers musicaux dans le monde entier.Mais, en même temps, la notion de piratage s’est introduite d’une manière allègre et aussi dans le milieu des musiciens professionnels.La quatrième révolution concerne la manipulation du son, à l’instar de celle de l’image qui instaure la déformation et la défragmentation de celle-ci.Mais, à chaque fois, l’humain restait maître de son message et au fil du temps, j’ai vu intervenir une assistance intrusive de plus en plus importante alors que l’humain pensait toujours être maître de la machine. Aujourd’hui ce n’est pas le cas ; nous avons des systèmes qui permettent d’hyperfragmenter, de chercher ce qui est l’équivalent d’un pixel dans l’image et de le retrouver dans le son et de recréer une belle symphonie de Mozart, de l’offrir pour la Saint-Valentin ! Ou d’en faire une à la Duke Ellington ou la Stevie Wonder. Ça, c’est déjà dans les tuyaux et ça nous inquiète beaucoup parce qu’il y a une notion [malmenée] du droit moral, de paternité du droit d’auteur. Puis il y a ce mélange qui est assez troublant de savoir où sont les références. Si les modèles s’évanouissent et si la reconnaissance des talents disparaît, qu’est-ce qu’on va transmettre à nos [futures] générations ? Jean-Christophe Urbain : si on demande à une intelligence artificielle de composer une 10e symphonie de Beethoven, voici ce que l’IA propose. [Écoute de l’extrait]. Plus Beethoven que le vrai composé par une IA, qu’est-ce que cela vous inspire ? Greco Casadesus : Ça m’inspire deux choses. Premièrement il n’y a pas beaucoup d’âme dans cette musique, mais cela ressemble bien à du BeethovenDeuxièmement, l’intelligence artificielle, elle fait des progrès tous les jours. Et je sais que dans un an, dans deux ans, on ne sera plus du tout au même stade embryonnaire. […].Et je me demande : […] Et si jamais on arrivait à une situation où l’intelligence artificielle composait des morceaux encore plus géniaux que Mozart, Beethoven ou Ravel ? Qu’est-ce qui se passerait ? Il va falloir se battre ! Jean-Christophe Urbain : vous ne pensez pas que c’est un combat perdu d’avance ? Greco Casadesus : Non. Je crois vraiment que les OGC (Organisation de Gestion Collective comme la Sacem, la Sacd, l’Adami, etc.) et les travaux des États de l’Union Européenne avec l’IA Act, vont permettre… La France est un pays qui a permis de faire l’exception culturelle, qui est inscrite et résistante. Je crois que si on arrive à convaincre tous les opérateurs qu’il y a une transparence à mettre en place, et que ceux-ci doivent respecter l’origine des œuvres, là ça sera un grand pas en avant. Et je pense que nous sommes encore juste dans les temps pour faire ça. […] Mais je suis assez confiant.L’IA va de plus en plus copier le côté inconscient de l’humain. Et il faut absolument résister : si on ne garde pas la main, c’est l’intelligence artificielle qui va nous la bouffer ! Retour au sommaire Entretiens audio